Le Figaro Nantes

Savez-vous d’où vient l’or de votre alliance ? Et les diamants de votre bague de fiançailles ? Raphaël Griffon pourra certainement vous renseigner. Installé à deux pas de la cathédrale de Nantes, ce joaillier quadragénaire a repris il y a une dizaine d’années l’atelier de son père. Très attaché à la transmission, il honore cette valeur qui lui est chère en incarnant la quatrième génération de la famille à modeler des bijoux.

Mais pour le Nantais, en témoignent ses boutons de manchette en or en forme de petit beurre LU, transmettre dépasse largement cette reprise d’activité. «Un artisan, c’est du savoir-faire et faire savoir», aime-t-il énoncer. Aventurier dans l’âme, l’ancien étudiant en électrotechnique ne se limite pas à créer des joyaux. Il s’est toujours intéressé à l’origine des matières précieuses et des hommes qui les extraient. Et tient à communiquer sur ses découvertes en réalisant lui-même des documentaires.

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Un séjour avec la Légion étrangère

Le 30 juin, il présentera à Nantes, au théâtre Graslin, un film de 52mn intitulé «La Chair des Dieux» relatant sa dernière expédition en Guyane. Après avoir exploré les mines de saphir du Sri Lanka, celles de diamants en Côte d’Ivoire ou de tsavorites au Kenya, Raphaël Griffon a décidé de retourner au même endroit qu’il y a une vingtaine d’années, point de départ de ses périples. Dans la foulée de son service national qui lui avait donné le goût de l’aventure, il avait alors sorti son premier long reportage. «J’étais jeune, j’avais moins de capacité d’analyse du sujet. J’ai une autre vision maintenant», commente l’ancien scout.

En mars 2021 et en mars 2022, il est parti avec son cousin photographe avec un objectif en tête : «valoriser et mettre en valeur les mines officielles. Les gens amalgament les orpailleurs clandestins et officiels.» Là-bas, «pour une tonne d’or officielle de sortie, il y a 10 tonnes volées. Or, pour extraire 10 tonnes volées, il y a 10 tonnes de mercure rejetées. Ce mercure est absorbé par les végétaux, les animaux, les humains…», relate celui qui a partagé le quotidien d’orpailleurs officiels.

«Si on veut choper des expressions vraies et authentiques, on est obligé de vivre avec eux. Les bonnes images arrivent le 3ème ou 4ème jour», témoigne Louis Brunet, son binôme qui publie de son côté un livre photo basé sur leur périple, pas toujours simple. Lors du deuxième, «on a eu 35 jours de pluie sur 40». Par ailleurs, le photographe, déjà parti avec son cousin en 2015 au Kenya, a pu le constater de ses propres yeux : «l’or, ça rend fou les gens. Les mines d’or sont sujettes à des braquages très régulièrement. Au moment de la levée d’or, les bandits peuvent attaquer. Nous ne sommes pas tombés dessus mais le risque était tout le temps-là».

Les deux compagnons ont pu tout de même partager des moments plus légers comme cette scène où ils se sont douchés avec de la terre. «On s’est retrouvés avec de la boue partout. Raphaël aime faire des trucs un peu foufous !» s’amuse Louis Brunet, qui salue également la ténacité de son cousin. C’est grâce à cela qu’ils ont pu s’évader deux jours avec la Légion étrangère, en mission anti-orpaillage, après un an de négociations. Un séjour qui a profondément marqué Raphaël Griffon, issu d’une famille de militaires. «Il y a un respect entre des hommes représentants de l’État français face à des clandestins qui viennent chercher de l’or pour survivre». D’ailleurs, c’est en partant à l’autre bout de la planète que sa réflexion sur ces chercheurs clandestins, communément appelés «garimpeiros», a évolué. «Est-ce qu’on ne ferait pas la même chose pour faire vivre notre famille ?» s’interroge-t-il après avoir observé, et filmé en caméra cachée, majoritairement des pères de famille, gagnant de l’argent via ces méthodes illégales.

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«Casser les codes» de la joaillerie

Ce genre de question philosophique, il pourrait également la soumettre à ses amis nantais autour d’un bon vieux rhum, dans son bureau transformé en salon le soir venu. C’est dans cette pièce que le chef d’entreprise s’est longuement confié au Figaro. Si ses mocassins et son polo Vicomte Arthur peuvent faire oublier sa personnalité d’explorateur, cet espace de 30 mètres carrés la rappelle. La planche de son bureau est une aile d’avion de chasse, et la chaise, un siège de pilote. De quoi lui faire penser aux hélicoptères qu’il conduit fréquemment en déplacement. Un couteau façonné sur-mesure, qui l’accompagne aux quatre coins du monde, trône sur une étagère.

Cinéaste, aventurier, joaillier… À 46 ans, Raphaël Griffon mène une vie bien remplie. Le secret ? «Je me lève à 5h du matin et me couche vers 21h», répond-il, sereinement. Il peut aussi compter sur le soutien de ses collaborateurs, qui ont réservé leur 30 juin : «Cette sortie de film est un moment spécial. Pendant ses absences, nous nous sommes occupé de la joaillerie, pris en charge certains dossiers. Nous y avons contribué à notre manière même si nous n’étions pas sur le terrain», souligne le chef d’atelier Jayaraj Covindassamy, d’origine indienne. Arrivé il y a 7 ans, il avait été embauché par M. Griffon père, qui était également son professeur à l’école. Il a ainsi connu l’agrandissement de l’équipe : à ses débuts, ils étaient trois. Aujourd’hui, ils sont neuf, âgés de 18 … à 46 ans.

Il y a un an et demi, Vanessa Griffon a quitté son ancienne boîte pour rejoindre la bijouterie de son époux, dont le design des locaux de 200 mètres carrés a été savamment étudié. Outre l’espace dortoir qui permet aux employés de se reposer ou la salle de bains pour se refaire une beauté après la venue d’un coach sportif, les vitres transparentes permettent aux passants de la rue du Roi Albert d’observer les salariés à l’œuvre. «C’est la nouvelle génération. Raphaël Griffon a voulu casser les codes en mettant en avant l’atelier et les artisans. Les gens traversent pour nous voir travailler», reprend Jayaraj Covindassamy, 27 ans. Parmi ses multiples missions, du sertissage aux entrevues, ce dernier apprécie particulièrement «raconter une histoire à travers un bijou. Je sors d’un rendez-vous avec des clients qui voulaient une bague pour leurs 20 ans de mariage. Ils aimeraient qu’elle représente leurs 3 enfants», illustre-t-il.

Raphaël Griffon apprécie également ce contact avec les acheteurs. D’autant plus qu’il a remarqué que ces derniers étaient sensibles aux voyages. «Quel est le lien entre un client étudiant qui se fiance et un grand entrepreneur ? C’est souvent un souvenir de voyage lié à la nature. Par exemple, un coucher de soleil en Jordanie. Car la nature n’appartient à personne». D’ailleurs, à quand sa prochaine excursion ? Dans l’année, au Panama, dans le cadre d’un stage d’instruction de survie qu’il propose depuis plusieurs années avec sa société La Compagnie des Aventuriers, et au cours duquel les participants se retrouvent seuls, sur une île. Mais attention, «le but est d’apprendre à être soudé dans les difficultés. Ça n’a rien à voir avec Koh Lanta !»

Le documentaire «La Chair des Dieux» sera projeté le 30 juin à 19h30 au théâtre Graslin, à Nantes (inscriptions ici), en présence de Henrique Costa, directeur d’une mine d’or ; Kadi Johannes, présidente du Collectif des Premières Nations (Amérindiens) ; Delphine Miau, ingénieure géologue ; Colonel Amaury Poirier-Coutansais, chef de groupement / Ministère des Armées ; Katerina Perez, journaliste freelance joaillerie. Raphaël Griffon prévoit aussi une fonte d’or en direct.