Prolifique créateur de bijoux, le poète n’a pas dessiné la bague Trinity de Cartier. Mais il a posé son empreinte sur cette icône joaillière du XXe siècle.
Par Hervé Dewintre
Publié le 23/04/2023 à 09h05
Temps de lecture : 4 min
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Diane Venet présente régulièrement sa collection de bijoux d’artistes dans les musées. Elle aime ces objets depuis que son époux – le sculpteur Bernar Venet – s’est amusé à enrouler autour de son annulaire gauche une fine baguette d’argent pour en faire une alliance. Ce geste initiatique lui fournit le socle d’une théorie séduisante : « Les œuvres de commande se font de plus en plus rares, mais les bijoux d’artistes font exception car ils sont généralement réalisés pour une personne aimée. Il suffit de penser à Picasso, qui peignait des galets ramassés sur la plage pour Dora Maar, à Alexander Calder, qui ciselait des parures pour sa femme, ou à Sol LeWitt, qui créait des bagues pour ses filles. » Seul angle mort de cette théorie : l’absence de bijoux d’homme, si on excepte peut-être les boutons de manchette de Claude Lalanne.
C’est précisément sous cet angle que le cas Cocteau devient intéressant. On sait que l’artiste a jeté sur le bijou un regard singulier. Dès les années 1930, le poète a créé des modèles fantaisies pour Elsa Schiaparelli, aidé Gabrielle Chanel à rédiger le manifeste qui accompagne l’unique collection de haute joaillerie réalisée par la créatrice de la rue Cambon, permis au joaillier Fred de transformer ses croquis en broches précieuses. Les conditions dans lesquelles le cinéaste-dramaturge réalise sous son nom sa première production de bijoux sont bien connues et documentées : en 1958 tout d’abord, à l’occasion d’un séjour à Villefranche-sur-Mer, dans l’atelier de la céramiste Madeline Jolly où il façonne les terres blanches et rouges en forme de fauves et de signes astrologiques pour concevoir des modèles uniques patinés au « dessin tatoué » ; puis au début des années 1960, lorsqu’il adresse ses dessins évoquant des profils humains inspirés des cultures anciennes à l’orfèvre François Hugo, qui façonne alors 13 bijoux, certains en or 22 carats sculptés à plat, d’autres en or 18 carats sertis de pierres précieuses. Pour illustrer cette symbiose entre l’artiste et le bijou, la postérité a cependant fait le choix singulier de mettre en exergue une création signée Cartier : une bague trois anneaux en platine, or jaune et or rose, dépouillée de pierres précieuses.
L’écho d’un amour. « Contrairement à ce qu’on lit souvent, rien dans nos archives ne permet d’affirmer que Jean Cocteau a dessiné ou participé à la création de ce bijou, créé par la maison en 1924 », indique Pierre Rainero, directeur de l’image, du style et du patrimoine de Cartier. Effectivement, cette pièce déclinée en bracelet triple est arborée dès 1925 par la célèbre décoratrice d’intérieur Elsie de Wolfe, ce qui semble attester qu’il ne s’agissait pas d’une commande spéciale ni d’une pièce unique. Et pourtant, une légende tenace va naître en raison d’un cliché présentant le poète arborant ostensiblement à l’auriculaire non pas une, mais deux bagues achetées au joaillier parisien. Cette légende affirme que l’artiste a contribué à la naissance du célèbre bijou qui avait une destination toute particulière.
Cette hypothèse est soutenue en premier lieu par la date de l’achat. En 1924, Jean Cocteau ne va pas bien. La mort de Radiguet, quelques mois, auparavant l’a laissé désespéré, découragé et en proie à l’opium. L’exhibition inattendue de ce duo de bijoux semble donc immanquablement se faire l’écho d’un amour disparu. Autre élément scellant pour les décennies à venir la proximité de l’artiste et de la création : le style de la bague, qui diffère de la production Cartier des années 1920. Louis Cartier est alors au pinacle de sa créativité : refusant de suivre les écoles, il prépare l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels. Sa prédilection se tourne davantage vers la virtuosité et l’association de matériaux sophistiqués que vers la retenue enclose dans ces trois anneaux.
Filiation
Comme le fit Cocteau, Chitose Abe, créatrice de la marque japonaise Sacai, mise sur une appropriation radicale de la collection Trinity. Fruit d’un travail de déconstruction virtuose des fameux anneaux en or gris, rose et jaune, elle invente des portés inédits. Les anneaux s’étirent, colonisent les doigts de la main et se transforment en boucle d’oreille unique à portés multiples ; ils s’enroulent autour du cou ou encerclent les poignets, liés mais désentrelacés. La filiation est aussi évidente que le résultat est surprenant.
Aura. Et puis, le dessin de la bague évoque, pour de nombreux observateurs, les anneaux de Saturne : un motif qui paraît en adéquation totale, par sa nature onirique et mystérieuse, avec les obsessions d’un artiste ayant cédé à toutes les séductions du surréalisme, mouvement qui s’assigne comme tâche de redécouvrir une sensibilité perdue pour mieux accéder à un univers régi par le merveilleux, le rêve et l’amour. Enfin, l’affinité de la bague trois anneaux (rebaptisée Trinity lorsque la maison en fera le centre d’une collection) avec l’aura du poète est renforcée par le fait que ce bijou est porté dans les années 1930 par une amie de Cocteau, la princesse Natalia Pavlovna Paley, fille du grand-duc Paul Alexandrovitch et de son épouse morganatique la princesse Olga Paley. Ces faisceaux de présomptions font que, même si la paternité de Cocteau semble exclue du point de vue de la maison Cartier, cet objet mythique n’en porte pas moins, dans ses lignes entrecroisées, la puissance de l’artiste, l’éloquence d’un univers et, plus important encore, l’intensité d’une passion. Comme si ce bijou avait vocation à réconcilier les histoires de l’orfèvrerie et de la création artistique, qui avaient pris des directions différentes depuis le XVIe siècle après avoir été intimement liées. Légende ou pas, le cas Cocteau-Trinity-Cartier peut servir d’exemple aux apprentis joailliers : un bijou n’est terminé que lorsque le client lui a insufflé l’immatérielle substance de sa personnalité§
CARTIER /SP – Cartier/Haw-lin Services – Antoine Pividori Cartier – CARTIER SP – SOTHEBY’s – FRED/Levaslot
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