Les morts ont-ils le pouvoir d’influencer les vivants ? En montant au dernier étage du vaisseau amiral new-yorkais de Tiffany pour rencontrer Nathalie Verdeille, nous revenait en mémoire une étrange histoire racontée mezza voce lors de la réouverture du magasin en avril dernier. Celle qui n’avait pas encore été nommée directrice artistique des collections de joaillerie et de haute joaillerie de Tiffany aurait, nous disait-on, senti un puissant courant passer le jour où elle se rendit sur la tombe de Jean Schlumberger sise au cimetière San Michele de Venise.
Un ressenti prémonitoire quand on sait que l’Alsacien fut le premier designer embauché par le joaillier américain, en 1956, alors qu’il avait commencé sa carrière à Paris en créant des boutons chez Elsa Schiaparelli. Pendant plus de vingt ans, Schlumberger a réinventé la nature joaillière de Tiffany, lui insufflant une empreinte aussi fantasque que singulière. Serait-ce cet adoubement d’outre-tombe qui conduisit Nathalie Verdeille à accepter ce poste si convoité au sein d’une marque rachetée près de 16 milliards de dollars en 2021 par le numéro un mondial du luxe, LVMH ?
En vérité, peu importe tant la créatrice française semble taillée pour marcher dans les pas de Jean Schlumberger. Elle connaît cette industrie comme sa poche. Elle y est entrée il y a quelque trois décennies comme designer chez Lorenz Bäumer. Elle a œuvré ensuite chez Chaumet, Chanel et Cartier où elle a été directrice de la joaillerie pendant quinze ans. Cette «obsessionnelle du détail et des techniques joaillières», comme la décrit l’un de ses anciens patrons, passe désormais de l’ombre à la lumière. Rencontre exclusive avec une femme qui a toujours eu les pieds sur terre. Et la tête ailleurs.
L’intérieur du magasin emblématique sur la 5e Avenue, à New York, rénové par l’architecte Peter Marino. © DR
Paris Match. Pourquoi avoir choisi le thème de la mer pour ce premier Blue Book, “Out of the Blue” ?
Nathalie Verdeille. Parce que le monde aquatique est très présent dans les créations de Jean Schlumberger. La mer exerçait une attraction très forte sur lui, il s’en réappropriait la faune et la flore pour inventer des créatures, des figures, qui lui étaient propres, à la fois majestueuses et nimbées de mystère. Mais mon premier ensemble de haute joaillerie inspiré par l’œuvre de Schlumberger n’est pas ancré dans la mer, mais dans les airs. Au début de l’année, j’ai réinterprété la célèbre broche “Bird on the Rock” de 1965, un petit oiseau malicieux coiffé d’une houpette en forme d’ananas, sur des colliers et de nouvelles broches. L’idée étant d’apporter du mouvement à ce bijou statique, d’offrir aussi symboliquement un nouvel envol à Tiffany.
L’héritage de Schlumberger constitue les fondements de la haute joaillerie contemporaine de cette maison.
Nathalie Verdeille
Comment avez-vous travaillé pour “Out of the Blue” ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
L’héritage de Schlumberger constitue les fondements de la haute joaillerie contemporaine de cette maison. Ce qui signifie que nous devons perpétuer son style sans le reproduire de façon littérale et sans le dénaturer. Cela implique de franchir trois étapes successives : à savoir, comprendre la joaillerie de Jean Schlumberger, se la réapproprier, afin de pouvoir la réinventer. Pour “Out of the Blue” dont le premier chapitre compte soixante-dix pièces, j’ai commencé par établir un moodboard pour définir les différents thèmes de la collection, il y en a sept, ainsi que la palette colorielle. Mon objectif était de transporter l’anthologie marine de Schlumberger avec ses poissons, méduses, étoiles de mer et autres oursins au XXIe siècle, de chorégraphier un nouveau ballet en naviguant entre le figuratif et l’abstrait, en apportant du relief, du volume, un côté sculptural aux bijoux.
L’ÉTOILE DE MER Avec son design modernisé, la créature marine aux branches d’or jaune et au cœur d’opale s’accroche à des rochers d’aiguesmarines, de tourmalines et de béryls verts. © Luke Hanscom
Quel héritage Jean Schlumberger a-t-il laissé à Tiffany ?
Son legs est immense. Il réside dans un univers créatif, très onirique, qu’il construisit en dehors de toute réalité, mais dans lequel il injectait des éléments du réel : les branches de corail, la forme d’un coquillage, les nageoires d’un poisson, les filaments de la méduse, les aiguilles d’un oursin ou encore la texture des pétales d’une fleur ou d’un ramage d’oiseau. Son imaginaire, abreuvé par ses nombreux voyages, notamment en Guadeloupe, le poussa à recréer une nature fantasque, élégante et poétique. Dans son œuvre, les quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu sont toujours présents. La patte de Jean Schlumberger est à la fois piquante et pleine de douceur. C’était assez visionnaire dans la joaillerie des années 1950.
LA MÉDUSE Emblématique du bestiaire de Schlumberger, cette broche est en or jaune, saphirs, tanzanites et pierres de lune. © Luke Hanscom
Comment expliquez-vous que la vie et les créations de Jean Schlumberger soient finalement peu connues, alors qu’il était la coqueluche de New York dans la seconde moitié du XXe siècle ?
C’était un homme secret qui exprimait ses sentiments dans la joaillerie, dans son style qui était très vivant, composé d’éléments opposés et complémentaires. Schlumberger ne créait pas des bijoux d’artiste, mais des pièces joaillières réalisables, portables et vendables. Il était peu connu en Europe, car il a fait toute sa carrière aux États-Unis, loin de la place Vendôme, ce qui, finalement, lui a offert une très grande liberté.
Ce qui caractérise “Out of the Blue” c’est l’ordre dans le chaos et le chaos dans l’ordre
Nathalie Verdeille
En marchant dans les pas de Jean Schlumberger, comment faites-vous pour imprimer votre propre style à cette collection ?
Je crée pour une marque et c’est la marque qui me nourrit. J’aime être dans un cadre, avoir des lignes et m’en affranchir. Disons que ce qui caractérise “Out of the Blue” c’est l’ordre dans le chaos et le chaos dans l’ordre. J’aime autant dessiner que suivre la fabrication des pièces de haute joaillerie.
LE POISSON À la fois puissant et délicat, ce clip aux nageoires articulées en or jaune et diamants est orné d’une ligne de saphirs padparadscha rose poudré. © DAN WONDERLY
Justement, on est frappé par la sophistication des finitions de ces bijoux qui semblent sortir des plus grands ateliers de haute joaillerie parisiens…
Il nous a paru fondamental d’apporter un savoir-faire français afin de faire revivre pleinement l’âme de Schlumberger. Nous avons remis en lumière le mélange du platine et de l’or jaune, la finesse des sertis et des mises à jour, le travail de l’or, texturé comme du tissu, la correspondance des matières et des couleurs à l’instar de ces pierres de lune translucides serties avec des saphirs et des tanzanites sur les pièces Méduse. Une attention extrême a été portée à l’envers des bijoux aussi ouvragés qu’à l’endroit. Beaucoup de gemmes ont été taillées sur œuvre, à l’instar de la parure Oursin où les picots de calcédoine, imitant les piquants de l’oursin, sont montés sur un système de trembleuse afin de suivre le mouvement de la femme qui les porte.
Que peut-on souhaiter à ce premier Blue Book ?
J’espère vraiment que cette collection va donner envie au grand public de redécouvrir le talent exceptionnel de Jean Schlumberger. Et permettre à Tiffany de poursuivre son chemin dans la haute joaillerie en écrivant une nouvelle page de son histoire.
UN MAGASIN SUPERSTAR SUR LA 5E
En avril dernier, ce n’est pas Audrey Hepburn qui fantasmait devant les vitrines de Tiffany, mais Gal Gadot, Blake Lively, Pharrell Williams, Michael B.Jordan, qui battaient la semelle pour franchir les portes de ce nouvel Olympe new-yorkais où les attendait un concert de Katy Perry.
Après quatre ans de travaux, l’adresse du célèbre joaillier donne désormais à voir une vision sublimée du luxe à l’américaine où chacun peut trouver son bonheur selon ses moyens – de la breloque en argent à 100 dollars aux diamants gros comme le Ritz à plusieurs dizaines de millions de dollars.
«Ce magasin emblématique n’avait jamais été rénové, confie Anthony Ledru, P-DG de la marque. Nous avons conservé la façade des années 1940, ainsi que l’organisation du rez-dechaussée où toutes nos icônes sont réunies. Ce lieu reflète toutes les facettes de notre identité et fait le pont entre l’Amérique et l’Europe.»
Lorsque en 1940 le joaillier new-yorkais débourse 10millions de dollars pour s’installer à l’angle de la 57e Rue et de la 5e Avenue, il érige le plus grand magasin de luxe de l’époque. Plus de quatre-vingts ans après, le bateau phare a été rénové avec génie par Peter Marino. Ils’étend sur dix étages, arbore un plafond taillé en pointes de diamant, un escalier spectaculaire et un penthouse unique. Le travail des matériaux et des textures qui caractérisent chaque étage est d’une sophistication inouïe. À quand la restauration des adresses parisiennes? F.R.
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